Rasgado - Chapitre 5 : Face au Taureau

Aldebaran

 

Mersiun 3 sordiva N – Mercredi 3 septembre N

Le soleil se couchait quand Anna ouvrit les paupières. Elle se redressa en douceur et voir que son prisonnier était endormi l’arrangeait.

« Pourvu qu’il ait le sommeil lourd. »

Elle le mit délicatement sur son dos en prenant soin de ne pas le réveiller. Décision peu risquée, néanmoins elle se disait en cas de problème, elle pouvait toujours lui planter son dard. Pourtant, l’instant d’après elle fut prise d’un remord.

« Non, je ne devrais pas en abuser. J’aimerais que la traversée se fasse sans embûche. Mais que faire une fois de retour dans la forêt ? »

Elle se faufila dans la nuit vers sa destination. Deux heures et demi au calme, elle qui redoutait un autre affront. Arrivés à la rivière, la bi-morphe posa Argol au sol et partie chercher des lianes. Cet endroit lui inspirait la sécurité, malgré l’espace ouvert. La créature s’y sentait bien. Dommage qu’il n’y eût pas de grotte pour s’y cacher.
 

Gurnes 4 sordiva N – Jeudi 4 septembre N

Le matin, lorsque le chevalier s’éveilla, il sentit qu'il ne pouvait se mouvoir librement. Il examina son corps, il n’en revenait pas. Mis en position assise, sa ravisseuse l’avait attaché avec du lierre de la tête au pied, excepté son bras gauche.

« Elle m’a saucissonné ! La garce ! »

Sans lui adresser un bonjour, il l’interpela à la hâte.

« Tu penses vraiment que tu vas m’empêcher de me battre avec cette liane ?
Elle se tourna vers lui, l’air amusé.
— Parce que tu penses pouvoir t’en défaire ? Je ne veux pas que tu te sauves.
— Je ne me sauverai pas, je t’affronterai ! Et je crois que tu le redoutes, vu comment tu m’as ligoté. En revanche, tu as oublié de m'attacher un bras. Normal ?
 Il y a ton repas juste à côté de toi. Je n’allais pas te laisser mourir de faim. Je t’ai cueilli d’autres fruits avant ton réveil. Ils sont dans la serviette.
Argol fut intrigué.
Elle se conduit autant comme un monstre que comme une mère, pensa-t-il.
 Je pourrais savoir pourquoi tu m’as fait prisonnier ?
Elle marcha en direction du refuge, épées dans leurs fourreaux.
— Je retourne là-bas. Toi, restes ici. Ce ne sera pas long.
Lassé d’être ignoré, le captif prit un ton autoritaire.
— Hey ! Réponds à ma question ! C’est quoi l’intérêt de me faire prisonnier ?!
— Tu es une garantie.
— Une garantie contre quoi ? Que crains-tu ?
Elle fronça les sourcils et répliqua froidement.
— Tu oses me le demander ? Sois tranquille jusqu’à mon retour.
— Que comptes-tu faire ?!
Balayant sa riposte du revers de la main, la bi-morphe repartit vers la ville. Hors de lui, Argol se débattait tel un forcené afin de défaire ses liens. Le nœud situé à l’arrière de son corps.
 Saletés de lianes ! »

Le chevalier renonça, le lierre ne pouvait être arraché sans effort. Le captif baissa les yeux vers la nourriture abondante : des fraises et des mûres sauvages et des groseilles. Son estomac criant famine, il se décida à manger.

Anna voulait voir Nihit ignorant à l'instant si elle allait juste parlementer ou plutôt lui trancher la tête pour avoir envoyé ses hommes la tuer. Elle se voyait déjà lui reprocher de l’avoir ramenée à la vie. Refusant de revenir sur Laethion, la femme scorpion purgeait sa peine et elle aurait sûrement disparu à jamais. C’était l'avenir des esprits criminels. Il paraîtrait qu’à la fin de la sanction, les âmes migraient un jardin aux fleurs mélancoliques.

« La paix n’est réservée qu’aux êtres exempts de tout crime. » se rappela-t-elle.

Il était plus de quatorze heures quand elle atteignit les montagnes qui l’avaient abritée la nuit dernière. Rasgado surveillait le côté sud-ouest du refuge.

« Je le reconnais. Il est encore là ? »

Depuis son poste de contrôle, elle scrutait furtivement le colosse en armure d’or. Comme la fois précédente, elle aplatit son corps autant que possible.

« Grand, oui. Fort ? Il y a des chances... La garde a été renforcée. Ce sera difficile de s’introduire. Seulement il n’y a que par le sud qu’on peut y accéder. »

D’autres vigiles portaient une armure moins impressionnante. Il y avait une elfe noire, une naine et des humains.

« Je pourrais m’en prendre à ceux qui ont l’air chétifs. Toutefois je crains que ce soit un atout pour eux. Ils peuvent être petits ou sveltes et rapides. Quelles sont leurs limites ? Si Nihit les a choisis, c’est qu'il y a une raison. »

Appuyée sur une roche, les bras croisés sous son menton, le vigile aux longs cheveux blancs s’accapara toute son attention.

« Grand, fort, mais je doute que ta vitesse soit supérieure à la mienne. »

Tapie dans l’ombre, Obsina observait la scène. Par télépathie, elle tenta de l’inciter à agir.

« Qu’attends-tu pour foncer ? Vas-y, passe à l’offensive.
Face à l’inaction de la bi-morphe, l’être intangible s’impatienta.
 Il a le dos tourné, profites-en ! »
Ces derniers mots firent écho dans l’esprit de sa proie. Ni une, ni deux, la créature bondit de sa cachette, sortant ses épées du fourreau. Elle se rapprochait dangereusement et d’un pas silencieux. Son adversaire n’était qu’à quelques mètres. D'un bond, elle lui planta les lames dans le corps. Pourtant, les secondes suivantes, ses épées voltigèrent sur les flancs et Anna se retrouva coincée dans ses bras, totalement stupéfaite.

« Quoi ?! C'est impossible ! Je l'ai attaqué sans qu'il me voie. »

Elle se débattait avec fureur. Or, se défaire de ce piège humain relevait de l’exploit. Elle s’énerva de plus belle, à cause de son échec et de l’humiliation qu’elle subissait.

« Relâche-moi immédiatement !
— Alors que tu comptais m’agresser ? Non, tu feras moins de dégâts.
— Espèce de… !
Elle essaya de se défendre avec son dard qui fut constamment repoussé par une force invisible, à gauche, puis à droite et ainsi de suite.
« Comment fait-il ça ? »
Toutefois, elle n’avait pas l’impression qu’il relâchait sa prise. Cette agitation attira Vadramea, l’elfe noire, qui suivait l’affrontement, perchée sur une branche d’arbre.
« Ainsi, elle est revenue. »
Voyant que le chevalier du Taureau s’en sortait très bien, elle ne bougea pas d’un cil et admira indifféremment le spectacle. Dans l’ombre, Obsina était furieuse.
« Il l'a capturé. L’idiote ?! »
— Allons, calme-toi. Tu ne risques rien.
Sa voix douce et grave ne suffit pas à apaiser la rivale.
— Relâche-moi !
— Tu sembles stressée pour une arrivante. Pourquoi t’es-tu enfouie ? De quoi as-tu peur ?
Trop occupée à vouloir se dégager, elle ne donna aucune réponse.
 Tu es du genre tenace... et taciturne.
Elle prit appui sur ses épaules robustes.
 Tu vas t’épuiser à vouloir te défaire de mon étreinte. Tu as de la chance, tu es la première que je serre contre moi ainsi.
Anna avait l’impression qu’il jubilait. Le visage renfrogné, elle s'agitait davantage.
— Pour la dernière fois, relâche-moi ! Tu me fais mal au dos !
Il écarquilla les yeux.
— Oh ? Je suis désolé. Attends un peu, je vais atténuer la douleur.
Dès lors, il posa une main sur sa peau nue.
D'abord estomaquée, sa curiosité la poussa à cesser ses hostilités durant un temps. Il la caressait et lui massait les muscles des épaules jusqu'en bas du dos en espérant la détendre.
« Qu’est-il en train de faire ? se demanda Vadramea en arquant un sourcil. Il veut la charmer ou quoi ? »
Elle ne comprenait pas les actions de son adversaire.
« Aucune riposte ? Quand va-t-il réagir ? »
Soudain, elle sentit une chaleur au niveau du thorax qui descendait dans l’abdomen.
« Quelle est cette sensation étrange ? »
Jamais elle ne l’avait ressenti sur Placida. Il continua en lui grattant le long du dos. Elle ne réagissait plus, ses muscles se relâchèrent peu à peu. Sentant la situation à son désavantage, Obsina revint à la charge.
« Ne te laisse pas berner ! Il est en train de ruser ! »
La bi-morphe reprit subitement ses esprits. La pression s'étant amoindrie, elle parvint à se dégager et fixa son ennemi. Un mélange de sentiment la dérouta : de la frustration, de la honte et de la méfiance. Elle se ressaisit et le toisa longuement tout en ramassant ses épées, avant de répliquer.
— Tu ne m’auras pas avec ta ruse !
Rasgado parut surpris.
— Ruser ? Moi ? Tu te méprends. Ce n’est pas dans mes habitudes de me moquer, encore moins d’une dame.
Doutant de sa parole, elle le considéra d’un air grave.
 Écoute, on peut discuter. Tu es revenue dans quel but ?
— Je n’ai pas à me justifier. Mais crois-moi que je reviendrai !
L'assaillante se retourna de manière à rejoindre la forêt.
— Je serai ravi de t’accueillir à nouveau !
Un puissant battement frappa sa cage thoracique, à tel point qu'elle en attrapa de vives douleurs.
« Mon cœur s'accélère ? Est-ce lui qui provoque ces émotions ? »
— Oublie ça !
Elle se tourna vivement et pointa une lame vers lui.
 J'ai mal à la poitrine. Que m'as-tu fait ?!
 Rien qui ne puisse te nuire, je t'assure. Que ressens-tu ?
 Mon cœur s'emballe. Ne te méprends pas non plus, je n'ai pas peur de toi. À l'avenir, si je te croise encore, je te promets de te faire payer cet affront ! Je te décapiterai ! Que Nihit prenne garde ! En l'occurrence, j’ai échoué. Seulement, je ne ferai pas la même erreur !
Anna s’éloigna en vitesse en restant sourde à une éventuelle riposte de son adversaire. Obsina l’accompagna, passant d’une ombre à l'autre.
 L’imbécile ! s’énerva Vadramea.
Elle ne pouvait pas quitter son poste, pourtant elle serait bien aller lui remettre les pendules à l’heure. Presque aussitôt, elle vit Endyl s’approcher du grand homme. Ce dernier se posta juste à côté du grand homme, joignant ses mains dans le dos. Il garda le silence, les yeux rivés sur la fugitive qui s'effaçait petit à petit.
— Bravo Ragasdo. Tu l’as laissée filer. Pourquoi ne l’as-tu pas neutralisée ?
Le chevalier ne bougeait pas.
— Je n’allais tout de même pas lever la main sur elle.
L’elfe leva la tête et l'observa d’un air intrigué.
— Je ne parle pas de la molester. Tu aurais pu la mettre à terre et l’empêcher de s’enfuir.
— C’est plutôt brutal comme comportement, surtout envers une demoiselle.
— C’est une femme scorpion. Elle est plus résistante qu’une femme normale.
— C’en est une quand même... Elle n'a pas voulu de répondre à mes interrogations.
Endyl prit un air moqueur.
— J’imagine qu’elle devait sûrement être perturbée par ton petit câlin. N'empêche, c'est la première fois que je vois un homme aussi calme devant une telle créature. Pour ça, je te félicite.
Rasgado sourit. Malgré son apparence, l’avoir près de lui ne le dérangeait pas.
— Dommage qu’elle soit si farouche. J’aurais aimé savoir ce qui a pu l’effrayer chez nous.
L'elfe poursuivit dans la plaisanterie.
— Ton impressionnante carrure. Elle a eu le temps de l’admirer je pense.
— Je vois que tu es taquin. J’ai vraiment vu de la peur dans son regard. Je sens qu’elle n'est pas dangereuse… On doit savoir où elle va. Tu pourrais la suivre ? Elle te conduira sûrement à Argol. Il faut le retrouver et le ramener au refuge. Avec ton costume de feuilles, tu pourrais rester discret ?
Ce fut au tour d’Endyl de sourire.
— Tu me demandes ça ? Vraiment ? Pas de problème. Je t’enverrai une missive dès que j’ai du nouveau. »

Rasgado le remercia puis l’elfe aux cheveux d’argent se lança à la poursuite d’Anna. C’était l’objectif du jour : retrouver le chevalier captif et le ramener.

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