Rasgado - Chapitre 2 : Chasseurs et proie
Lümde 1is sordiva N - Lundi 1er septembre N
Anna vagabondait sur l’île en faisant profil bas. Sans repère et pour ne pas attirer l’attention, elle n’avait pas encore quitté la forêt. De plus, les quelques promeneurs qui passaient par là empêchaient son avancée. La femme scorpion voulait surprendre ses ennemis, peut-être capturer l’un d’eux afin d’extorquer des informations ou garantir sa propre sécurité. De simples passants avaient un intérêt moindre comparé à l'un de leurs soldats, un gradé de préférence.
Hagen de Merak et Argol de Persée, deux chasseurs, furent désignés par Nihit afin de ramener la fugitive. Les hommes s’étaient séparés pour couvrir un maximum de territoire durant leur recherche. Ils se rejoignirent à la sortie du refuge.
« Tu n’as aucune piste, Hagen ?
Son collègue hocha la tête.
— Non, pas de créature bi-morphe de mon côté. Et toi ?
— Non plus, elle n’est pas en ville.
Argol balaya le paysage et s'arrêta au niveau de la forêt.
— On pourrait aller voir là-bas. Elle serait tranquille, à l’abri de toute menace.
— Oui, allons-y. »
Sans hésitation, ils poursuivirent leur traque dans les bois, loin de se douter qu’Albafica, chevalier d'or des poissons d'origine grecque, les avait pris en filature. La forêt était grande et les broussailles – en dehors des chemins – rendaient toute progression laborieuse. La recherche prit du temps, cependant ils finirent par la trouver, allongée près de la rivière. Un grand corps d’arachnide brun, l’air placide, elle contemplait l’eau qui s’écoulait. Deux épées reposaient à même le sol devant elle. Planqués derrière les buissons, les hommes la fixèrent, impressionnés par sa stature. Hagen entama la discussion à voix basse.
« Comment s’y prend-on pour l’aborder ?
Son acolyte ne répondit pas dans l'immédiat.
— On y va, on l’embarque et puis c’est tout. S’il faut la fracasser, on l'fera.
— Dame Nihit nous a demandé de privilégier la parole. D’après ses dires, elle n’est pas dangereuse.
— Je ne suis pas sûr qu’elle entendra quoi que ce soit. Elle est prête à se battre. Et t’as vu la taille de la bête ? À mon avis, elle ne se laissera pas faire. Mais ce scorpion ne me fait pas peur.
— Hey, je n’ai pas peur non plus. Je pense juste qu’on devrait tenter une approche courtoise, comme Dame Nihit nous l’a recommandé.
Lassé de patienter, Argol finit par sortir des fourrés, armé de son écu enchanté à tête de gorgone, et se dirigea imprudemment vers elle.
— Qu’est-ce que tu fais ?
Le pisteur la voyait de dos. Albafica arriva à ce moment-là depuis l’autre côté et examina la scène. Personne n’avait prêté attention à lui.
— Tu vas nous suivre jusqu’au refuge sans difficulté, sale monstre !
L’idiot, pensa le grec.
La voix du chasseur provoqua un léger sursaut chez elle. La femme se tourna lentement vers lui tout en ramassant ses épées d’un calme olympien. Elle prit son temps pour se déployer et fit quelques pas vers lui.
— Je ne m’approcherais pas de trop si j’étais toi. Mon bouclier pourrait te transformer en statue de pierre en un instant ! D’ailleurs, tu serais un magnifique trophée pour mon salon. Dommage que tu sois aussi énorme !
Par provocation, la créature marcha doucement vers lui.
— Un broquel pétrifiant ? Voici donc la raison d’une telle désinvolture. Pourrais-je avoir ton nom ? À moins que tu préfères que je t'appelle avorton !
Il répliqua, les sourcils froncés.
— Je suis Argol, chevalier de Persée !
Elle était encore à une bonne distance de son adversaire.
— Alors prépare-toi à affronter un « monstre », Argol de Persée ! »
Le visage d’Anna s’assombrit et d’une traite elle se précipita sur lui. Le guerrier eut à peine le temps de parer. La créature lui arracha son arme en un coup de lame. Surpris par tant de fougue, il s'efforça d'éviter toutes ses attaques. Il essaierait bien un Ra's Al Ghûl Gorgonio, seulement les branches basses le gêneraient. Il devait se mouvoir vers la clairière pour une meilleure riposte. De plus, il n’avait pas envie de se prendre ce dard en pleine poitrine. Tant pis, il tenta sa chance. Il se faufila vers un endroit dégagé, elle le suivit du regard. Le combattant sauta le plus haut possible pour lui asséner un coup de pied en pleine face.
Malheureusement elle parvint à le contrer aisément. Grâce à sa queue segmentée, elle le plaqua au sol et lui tint le cou avec l’une de ses pinces. Albafica s’avança un peu nerveusement. Hagen se releva prestement. Elle va le tuer ! songea-t-il.
Le chasseur de Merak sortit des buissons, ce qui stoppa le grec. L'ayant bien analysé, il pouvait l'affronter plus facilement.
« Laisse-le ! Sinon je te gèle totalement !
Elle se tourna vers lui.
— Qui t’a dit que j’allais le tuer ? Ne bouge pas, je vais m’occuper de ton cas.
Elle fixa à nouveau sa proie.
— Es-tu allergique au venin, Argol ?
Il ne comprenait pas.
— Quoi ?
— Es-tu allergique au venin ? Réponds-moi !
— Non ! Tu crois vraiment pouvoir me faire peur comme ça ?!
Elle se rapprocha de lui.
— J’espère pour toi que tu dis vrai.
Ce propos ne le rassura pas du tout. Elle s’écarta et lui planta son dard au niveau de la cuisse droite, le malheureux se mit à hurler.
— Ne t’en fais pas. Si tu ne m’as pas menti, tu n’en mourras pas. Par contre, ta jambe sera vite paralysée.
La femme fixa machinalement l'autre.
— À nous deux, jeune blondin. Tu parlais de me geler ? Ignores-tu que les scorpions ne craignent pas le froid ? Tu auras beau me congeler, ça ne me tuera pas !
— Ils ne craignent pas le froid ? Très bien, alors que penses-tu du feu ?! »
Elle écarquilla les yeux.
Quoi ?! Il a des capacités dans ce domaine aussi ?
Il se prépara pour son attaque, néanmoins contre toute attente, son ennemie jeta ses armes dans l’eau. Surpris, Hagen stoppa son geste et observa son opposante.
Que fait-elle ?
Anna se piqua elle-même au milieu du dos avant de s’effondrer. Les deux guerriers furent stupéfaits par cet acte. Celui de Persée se redressa, les mains agrippées au niveau de sa blessure. La douleur était lancinante, sa jambe semblait avoir doublée de volume. Son collègue l’aida à se relever.
« Elle est morte ?
— Je pense oui. Pourquoi elle a fait ça ?
— Elle a choisi sa fin. Sans doute préférait-elle le suicide par le poison à une immolation. On devrait lui trancher la tête, comme Méduse ! Sale garce !
— Elle a eu son compte. Regarde l’emplacement de sa piqûre. Il est fort rouge, je crois qu’elle ne s’est pas loupée. Rentrons, il faut soigner ta jambe. »
Argol récupéra péniblement son bouclier et remarqua sa poignée cassée. Il comprit pourquoi il l’avait si vite lâché.
Est-ce qu’il s'est détérioré sans que je m’en aperçoive ? Ou mal réparé peut-être ? Je ne sais pas.
Puis ils repartirent en laissant le cadavre. Albafica arriva près du corps, loin d'être convaincu par cette mort.
Pourquoi un suicide aussi soudain ? Serait-ce plutôt un leurre ?
Il posa deux doigts sur le cou pendant un moment.
Aucun pouls, cette femme est bien morte. Elle aurait pu le tuer sans problème, pourquoi ne l’a-t-elle pas fait ?
Le chevalier d'or resterait sans réponses à ses questions. Déçu par ce résultat, il repartit au palais de Nihit afin de lui faire un rapport.
Plus tard, alors qu’il faisait nuit noire dans la forêt, le corps de la créature remua un peu. Anna se sentait un peu vaseuse. Cet état ne durerait qu’un moment, le temps qu’elle reprenne ses esprits. Elle voulait simplement immobiliser son détracteur pour combattre Hagen.
« Saloperie d’initié, il a tout gâché ! J’aurais pu faire de cet arrogant mon prisonnier ! Congelée ? Peut-être moins risqué, pourtant aurais-je survécu ? Mes fonctions vitales se réanimeraient au fur et à mesure... Ma carapace supporte bien les hautes températures, mais pas ma partie humaine. Et que faire d’un corps desséché par le feu ? Non, j'aurais fini carbonisée. Heureusement que je supporte mon propre poison. C’est la seule échappatoire que j’avais. »
Anna récupéra son équipement dans l’eau et se dirigea vers le refuge, là où sa proie se faisait sûrement soigner. Quant à ce blondin, il faudra trouver une parade pour le contrer.
« Est-il vraiment capable de produire un feu aussi fort ? J’ai été tellement surprise que je n’ai même pas songé à le tester. Les placidiens n’étaient que de simples mortels, je n’avais rien à craindre d’eux. En revanche, les initiés, je m’en méfie. »
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