Rasgado - Chapitre 3 : L'enlèvement d'Argol (Partie 1)
Mazde 2 sordiva N - Mardi 2 septembre N
Le soleil enchaînait lentement son ascension lorsqu’Anna aperçut une chaîne, à la fois rocheuse et boisée, près du refuge. Tapis derrière les arbustes, elle le surveillait depuis son poste d’observation, ne pouvant attaquer sans être remarquée. Les chevaliers se lèvent à l’aube en général. Et des soldats devaient patrouiller dans les environs. La bi-morphe jugea préférable de rester tranquille et d'examiner la situation. Au bout d’une heure, il y eut un peu d’agitation. Quelques personnes erraient çà et là.
« Promenade matinale ? Faut-il prendre le risque d’être vue ? (Elle secoua un peu la tête) Non, ce n’est pas prudent. Inutile d’avoir une escouade à ses trousses. »
L’un d’eux retint son attention. Il paraissait gigantesque par rapport aux autres, une carrure impressionnante, de longs cheveux blancs.
« Eh bien… Une belle armoire à glace. Il ne porte pas d’armure. Ce type-là, c’est juste un habitant ou un garde ? (Elle mit sa main en visière.) D’aussi loin je le vois mal. Mieux vaut s'aventurer de nuit… Nihit a dû envoyer des hommes à ma recherche. Tout ce qu’il me faut, c’est cet avorton d’Argol ! Il fera un très bon prisonnier. »
Le soleil était désormais trop haut dans le ciel pour espérer passer inaperçue. De plus, avec sa forme singulière, Anna serait repérée en un instant.
« Quelle frustration ! Une journée à rester cachée. Ce gars aux cheveux blancs pourrait donner l’alerte.
La femme scorpion l’observa un moment.
— Quel est son métier ? Il semble assez grand et fort. Un bucheron peut-être ?
Rasgado se tourna vers son côté. Elle s'aplatit vivement contre la roche en prenant soin de ne pas dévoiler son dard.
— C’est pas vrai, il est toujours là ?! J’espère qu’il ne m’a pas vu... Il portait une armure donc pas un bucheron, plutôt un fantassin. Il doit y en avoir partout. »
Mersiun 3 sordiva N - Mercredi 3 septembre N
Trois heures du matin, Anna progressait vers le refuge, redoublant de prudence parce qu’elle savait que sa présence était escomptée. Toutefois, les arachnides sont des animaux furtifs.
« Avec la dose que je lui ai mise, Argol est hors de danger. Il doit sûrement se reposer dans une infirmerie ou un hôpital. Combien de temps lui faudra-t-il pour se rétablir ? »
Depuis un ciel nuageux, le refuge était parfois éclairé par la pâle lueur de la lune. Prudemment, la créature se faufila à travers les rues, glissant d’une ombre à l’autre. Elle remarqua les vigiles effectuaient leur ronde nocturne.
« Des gardes, je m’en doutais.
Elle ferma les yeux et sourit.
— Nihit aurait donc si peur pour lui ?
Reprenant son sérieux :
— J’espère tout de même qu’il se porte bien. Je ne pense pas avoir abusé du poison. Et si, dans la hâte, j’avais négligé la dose… Non, quand je repense à cette scène avec le blondin, j’étais vigilante... Il va bien… À moins que je ne cherche qu'à m’en convaincre ?
En face se dressait un grand bâtiment en pierres ocre. La bi-morphe s’approcha afin de passer en revue les lieux.
— Est-ce un hôpital ?
La bâtisse possédait un espace très large, munis d'un court de tennis.
— Non, plutôt une école et une salle de sport ou un stade. »
Elle poursuivit son chemin. De l’autre côté de l’avenue Owel Pinaks se tenait un deuxième établissement en briques rouges, dont plusieurs vitres furent ouvertes, faisant toute la longueur de la cité scolaire.
— Par là. »
La créature grimpa au mur et vérifia les chambres jusqu’à tomber sur celle d'Argol, au premier étage. Son lit en métal, avec sa partie relevée, lui parut bizarre. En un mouvement de pince, elle ouvrit la double-fenêtre et se faufila à l’intérieur en silence. L’ombre de la femme scorpion s’étendait sans fin. Au passage, elle prit une serviette posée sur la table puis se positionna en douceur devant lui.
« Est-il profondément assoupi ou est-ce une feinte ? »
Elle voulait regarder son visage, or sa concentration restait axée sur le bras droit de sa victime, distinguant une pointe sous le drap.
« Craignais-tu que je vienne ? Cette lame semble le confirmer. Tu avais raison. Droitier ? Va falloir que je m'occupe de ça aussi. »
Trop éloignée de lui, le chevalier attendait le bon moment pour l'affronter. Elle se rapprocha lentement, son corps proche du sien, sa pince gauche disposée à parer l'attaque. Le patient nota que le lit s’affaissait sous la masse de l’intruse.
« Eh bah, ce n'est pas un poids plume, c'est sûr. »
Lui se sentait prêt, Anna fixait son bras.
« Tu as du mal à te lever. Je ne vais pas te traîner jusque dehors, tout de même. Aurais-tu besoin d’aide ? »
Pas d'alternative, il fallait le forcer à s’éveiller. Rien de mieux que sa voix chaleureuse pour le faire réagir.
— Réveille-toi, Argol de Persée.
Il ouvrit les yeux d’un trait, frappa ardemment mais fut contré par la pince.
« Je me doutais que tu allais revenir !
— Et tu ne t’es pas mieux préparé que ça ?
Il vit son dard se redresser, comme au ralenti. Ses yeux bleus s’écarquillèrent, redoutant l’impact.
« Oh non, pas encore ! » songea-t-il.
D’un jet, la bi-morphe le piqua à l’épaule droite et étouffa ses cris d’alerte avec la serviette. Le pauvre se débattait autant qu’il le put avant que son corps ne réponde plus. Elle conserva le tissu autour de sa nuque.
« Il aura son utilité. »
Anna culpabilisa en voyant l’état de sa victime. Le cœur serré, elle lui adressa ces derniers mots :
— Je suis désolée, je n’ai pas le choix. »
Le chevalier resta conscient, incapable de communiquer. La créature lui avait administré une dose moins forte que la précédente, tenant à le maintenir en vie. Depuis le couloir, les bruits de lutte attirèrent la curiosité d’Onilae, une aide-soignante.
« Pourvu que le patient ne soit pas tombé du lit. »
La demoiselle arriva et ouvrit la porte. La vision de cet être abominable la pétrifia. Puis la jeune fille hurla en reculant et courut chercher de l’aide, persuadée que ses collègues la croiraient folle.
« Il y a un monstre dans la chambre d’Argol !
Meilyg, l'infirmier du service, la considéra d'un air surpris.
— Quoi ? Tu déconnes.
— Non, je t’assure. (Elle pointa la chambre du doigt.) Allez voir ! Allez voir !
Malgré qu'elles fussent très intriguées, les autres dames n’osaient pas quitter la salle. Il posa son café et partit contrôler ses dires.
« La pauvre fille doit être bien fatiguée. »
Ne croyant pas à son délire, le jeune homme voulait s’assurer de l'état de santé de leur patient. Or, en arrivant, il constata qu'il avait disparu. En panique, il vérifia l'intérieur, la salle de bain, personne. Un vent frais s'engouffrait depuis la fenêtre béante.
« Comment est-ce possible ? C'est sécurisé. Il n'a pas pu l'ouvrir aussi facilement. »
Il se dirigea vers le battant et l’examina : l’axe a été sectionné.
« C’est pour ça que la vitre est ouverte de cette manière... Comment a-t-il fait ça ? Pourquoi Argol aurait-il fui ? C'est insensé ! Et avec une jambe en moins, impossible de s'échapper par là. »
Meilyg se pencha et observa l'extérieur : personne.
« Si, même par miracle, il l'avait franchi, la chute aurait été inévitable. Je ne pense pas qu’il aurait eu le temps de fuir aussi vite… (Il passa sa main sur le visage.) Il n’est pas parti seul… Merde ! C’est quoi ce bordel ? »
L'infirmier sortit de la pièce et se précipita, paniqué, vers ses collègues. Onilae, assise par terre, ne tenait plus sur ses jambes fragiles. Des larmes coulaient sur son visage pâle. Il était navré de devoir la secouer, pourtant il devait savoir. Il prit une profonde inspiration afin de se calmer.
« Où est-il ? Onilae, où est-il ?
La jeune fille répondit d’une voix faible et tremblante.
— Elle l’a emmené.
— Qui ça ?
— Ce monstre... un scorpion à tête de femme.
« Bon sang. On n'en tirera rien. »
— Elle est bouleversée, fit une subordonnée. Il vaut mieux qu’elle rentre chez elle. Voyez comme elle est blanche.
Il hocha la tête et continua :
— Il faut signaler sa disparition. Occupez-vous d’Onilae. Je vais alerter les vigiles. »
Le cadre se dirigea vers un bureau qu'il traversa jusqu'au téléphone. Un long tableau gris à fiches T décorait le mur. Il prit le combiné, composa le numéro et leur signala la disparition.
« Ils se chargeront de le retrouver s’il est à l’extérieur. J'ai de la paperasse à faire. » pensa-t-il.
Quelques aides-soignantes inspectèrent le service au cas où le patient serait encore dans l’établissement. Entre-temps, Meilyg remplit une déclaration de fugue, compléta le cahier de transmissions et prévint ses supérieurs.
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